Pour tuer l’expérience inédite des « mille jours » de l’Unité populaire du gouvernement Allende, une dictature féroce menée par Pinochet a été nécessaire.
Quel était le danger ? Que s’est-il passé pendant ces trois ans si occultés de l’histoire chilienne ?
Certains de ceux qui ont accompagné Salvador Allende dans cette aventure racontent l’espoir et l’engouement du rêve socialiste mais aussi les difficultés et la lutte pour pour plus d’égalité et de partage face à la cruauté libérale.
J’ai grandi à Cuba, avec sa mer, sa chaleur, sa musique. Mes parents avaient un accent différent de ceux aux côtés desquels nous vivions et leurs souvenirs n’avaient rien à voir avec ce qui m’entourait. Dans notre appartement, les photos d’Allende côtoyaient celles du Che et de Camilo Cienfuegos, ma mère avait accroché des bandes de laine tissée. Plus tard j’ai su qu’elles étaient mapuches, qu’elles venaient des Indiens du Chili, pays où je suis née.
J’aimais regarder le visage de Salvador Allende, ses lunettes à monture épaisse et sa moustache. Un homme élégant à l’ancienne. J’ai su très tôt qu’il était mort, je pouvais réciter par cœur son dernier discours. En grandissant, l’attirance pour le personnage n’a fait que croître, je voulais tout savoir de lui, lire tous ses discours, écouter toutes les histoires qui évoquaient sa volonté, son désir de justice, son amour pour son peuple, sa capacité visionnaire pour comprendre le monde.
Je ne comprenais pas comment le pays où j’étais née, petit pays improbable du bout du monde avait pu donner deux Prix Nobel de poésie, un président comme Salvador Allende et un des pires dictateurs, tout cela en deux générations. Suivant mes parents dans leur exil, j’ai donc grandi ailleurs. J’ai eu la possibilité d’être enfant sans le poids terrible de vivre dans un pays en dictature.
J’avais cru pendant vingt ans que le Chili était mon pays, que j’y avais une place. Mais le Chili sans les militaires n’est pas devenu pour autant ce pays de justice et de liberté pour lequel mes parents et beaucoup d’autres ont tant lutté, tant souffert, tant donné. La désillusion a presque réussi à me rendre indifférente à la terre où j’étais née, pourtant son histoire me fascinait toujours. Plus j’en apprenais, plus j’étais attirée. Je refusais de céder à l’amertume, au défaitisme, je refusais de ne pas avoir une raison de lier mon destin de femme adulte à mon pays natal.
Ma passion de l’écriture et du cinéma ont fini par faire germer ce film. La rencontre avec Jaco mon compagnon à l’époque, photographe de formation, amoureux des révolutions, m’a donné la force d’aller jusqu’au bout. Je suis partie à la recherche de la beauté, de la générosité exprimée par un peuple prenant en main son destin.
Nous sommes des survivants, nous avons la parole, nous avons une mémoire qui doit se transmettre, qui doit vivre, qui est un outil puissant pour consolider le présent et construire le futur.
Lettre de Jaco Bidermann
Issu d’un milieu de gauche avec des parents militants, le Chili d’Allende a toujours fait partie de mon imaginaire politique. Pourtant, les récits de la dictature étaient plus forts, omniprésents. Comme un voile empêchant de voir au-delà.
Rencontrer Claudia, aller au Chili et faire ce film m’ont permis de lever ce voile et de prendre la mesure de l’expérience unique de ces mille jours.
Le cinéma, c’est aussi témoigner, fouiller, mettre en lumière. Je suis aussi éclairagiste au théâtre, j’aime mettre en lumière, rendre beaux les acteurs.
J’ai souvent été ému aux larmes, derrière la caméra en entendant les récits de ces hommes et de ces femmes qui ont souvent passé leur vie à lutter pour une société plus juste.
L’histoire chilienne est un concentré du 20e siècle : un Front populaire, un gouvernement socialiste révolutionnaire et démocratique, un coup d’état, une dictature et le laboratoire du néolibéralisme mondialisé.
C’est une histoire pleine d’horreur et de vie. Pour que finalement l’horreur n’ait pas le dernier mot et pour que cette expérience unique puisse continuer à résonner, il me semblait important de faire ce film.