5 mois plus tard, nous avons voulu à nouveau interroger Alain. Sur le film cette fois. Voilà 5 réponses.
Nous sommes venus 17 fois te voir pour des tournages…
17 fois. Non, tant que ça ? A chaque fois, ça a été une sorte de stress. Il commençait la veille de votre arrivée. On savait qu’il faudrait remettre un coup sur notre histoire, s’obliger à faire le point sur les avancées de notre reconversion. Douloureux de remuer tout cela..... Mais c’était un encouragement aussi pour mener à bien la VAE, la validation des acquis de l’expérience, pour rechercher des pistes de travail afin d’être à nouveau en harmonie avec soi. Sans le film, je ne serais peut-être pas allé aussi loin… Je ne sais pas… Faut dire aussi que j’étais piqué au vif. C’était un défi pour moi que de réussir tout ce bordel. Sans doute un peu d’orgueil là-dessous… Et puis c’était aussi un exutoire. Une thérapie. Parler pour se libérer, ça oui, C’était important face à l’injustice dont j’ai été victime. On s’est tout de même fait traiter d’assassins : une femme nous a appelés une fois, sa fille je crois était morte d’un cancer. Elle nous a dit que c’était de notre faute, des pesticides, des farines animales, de la malbouffe. Je ne lui en veux pas, la douleur de perdre quelqu’un de façon irrationnelle, ça l’excuse. Reste que plein de gens pensent ce genre de choses.
Le film était juste un exutoire ?
Non. Ou en partie seulement ! Il fallait déposer des actes. Avant le film, il y a eu l’acte de refus de l’abattage, ne pas se laisser faire, dire que l’on était pas d’accord, essayer de faire changer la gestion sanitaire de l’ESB. Il y eu ensuite l’acte judicaire, une plainte pour empoisonnement d’une vache par des farines contaminées. Une façon là de bien dire que c’est pas nous les coupables, on travaillait en confiance avec les fournisseurs d’aliments.
Le film est un troisième acte, plus politique celui-là : que les gens, le public, sachent ce qui nous est arrivé. La violence de tout cela. Montrer aussi aux autres paysans qu’ils ne sont pas seuls. La dépression en campagne, le mal être, on en parle jamais. Le suicide est insupportable. On est bien loin des « bouffeurs de primes européennes », n’est-ce pas ?Moi par exemple, j’ai perdu 100 000 euros à cause de la vache folle, alors quand j’entends que l’on s’est fait de l’argent sur le dos de l’ESB…
Personne ne parle de notre boulot, personne ne sait de quoi notre quotidien est fait. Et puis aujourd’hui, les gens oublient très vite. Très très vite. Il fallait laisser une sorte de testament de notre histoire, de ce qu’était notre métier. Le film était une occasion d’aller jusqu’au bout de mes idées. Fallait pas que je la rate.
Quel lien fais-tu entre la crise de la vache et le métier de paysan ?
J’ai vécu toute cette histoire comme une blessure. Une trahison du métier justement. Une éthique de vie qui s’écroule. Ce n’est pas un seul pan de mur qui s’écroule, mais des pans et des pans. Un jour, un gars d’une structure agricole m’a dit : « La vie d’une vache ou d’un veau ne compte pas, c’est le profit de nos entreprises qui importe ». Je lui ai demandé : et l’homme là-dedans ? Ce qu’il m’a répondu ? « Il s’adapte ou il se démet ». Voilà ce que j’ai appris avec toute cette histoire : la vie d’un homme ne compte pas. On ne vaut plus rien. Alors notre métier…
C’est pourtant le métier le plus important. Aller de l’avant. Innover. Se remettre en question. S’interroger sur nos pratiques, sur le pourquoi du comment… Sur l’amour du travail bien fait aussi. Toutes ces préoccupations-là, on nous force à ne plus les avoir. Tais-toi et ne réfléchis pas. Paysan, on fait ce boulot pour des raisons humaines et sociales, c’est-à-dire nourrir les gens, gagner sa vie normalement. Mais tout ça…
As-tu hésité à participer à ce film ?
Dans notre milieu, le milieu populaire, le rapport de confiance est très important. Cette confiance, on ne l’a jamais trouvée avec tous ceux qui nous avaient contactés suite à notre refus de l’abattage. Ils voulaient tous qu’on les rappelle le jour du départ des bêtes. « Ils peuvent toujours courir » je me suis dit.
Vous êtes les seuls à nous avoir téléphoné plusieurs fois, à nous avoir parlé d’autre chose, du métier de paysan, du combat pour la vérité. Une forme d’entêtement de votre part. C’est comme cela que j’ai vu que vous alliez vraiment vous engager. Surtout je ne voulais pas, et vous non plus, d’un film revanchard, d’un film d’investigation qui attaque. Plutôt un film sur la reconversion, sur le travail. Avec le temps, la confiance est venue. Puis notre complicité à tous les trois a fait qu’un moment on se pose plus la question.
N’empêche, j’ai hésité à participer tout au long du film. Jamais autant qu’au début, mais tout le temps quand même. A cause de la pression sur moi et la famille. Vous n’imaginez pas comment on peut faire payer un paysan qui ouvre sa bouche.